Evelyne Axell égérie universelle.
L’étonnant Museum Abteiberg de Mönchengladbach réserve à l’Amazone du Pop Art une messe rayonnante. 75 pièces essentielles. Les vibrations d’une artiste morte la fleur au fusil.
Extraits:
Jamais nous ne l’avions vue à pareille fête ! A pareille mise en espace, jubilante, de son si bref voyage au long cours d’un art en prise directe et subtile sur son temps. D’où son actualité quarante ans après. Et son universalité. Laquelle se confirme de jour en jour, Vienne, New York, Bruxelles et l’Allemagne entière la saluant de plus belle.
Evelyne Axell (1935-1972) pressentait-elle un destin arrimé à une route bordée d’embûches ? A plusieurs reprises elle s’est dépeinte le pied sur un accélérateur enfoncé à bloc. Elle a peint, avec humour, vitesse et frénésie, engagement et libération des tabous. En forcenée convaincue d’avoir à taper sur le clou, fût-ce, comme elle l’a fait, en se mettant en scène elle-même et à nu. Et tout cela à une époque, les Sixties, certes en veine de contestation étudiante mais encore enfouie dans les principes, les préceptes, les interdits et les frilosités d’un monde catho et bourgeois asservi aux bonnes pensées, aux lois canoniques. Sans crier gare, sinon en peignant sans balises et comme on ne l’avait fait avant elle, sinon en recourant à des matériaux inusités – l’émail pour bagnoles et le plexiglas, par exemple -, en s’avérant diverse et originale de tableau en sujet d’introspection, Axell déjouait avec autorité et fantaisie les pièges tendus sous les pieds des électrons libres, de plasticiens trublions en passe de révoltes et d’audaces acidulées.
Il y avait le Pop Art aux Etats-Unis, le Nouveau Réalisme en France, mais rares étaient les femmes qui y prenaient leur part de sacerdoce et d’implication sociale et politique. Axell y alla en amazone, fustigeant amortis et bras ballants, des couleurs fluo, brillantes et transparentes, projetées sur des plexis. Inédit ! Parfois paravents formés de plusieurs couches successives, ceux-ci offraient des reliefs et des profondeurs de champs ouverts aux débordements de la pensée et aux excédents de biles accumulés face à l’inertie, au trop bon goût des uns et des autres.
Sa verve contestataire, généreuse, désintéressée et percutante, n’a jamais paru aussi à son affaire qu’ici, l’espace grand ouvert du hall de l’Abteiberg la servant à ravir, bien qu’il ne dut pas être cousu de fil blanc pour les organisateurs d’agencer cette œuvre multiforme quasi à ciel ouvert. Ils ont réussi et c’est le plus sûr mérite de cette exposition après la clarté prémonitoire et sulfureuse d’un vaste travail plastique et proverbial. On y voit des tableaux d’Axell perchés deux ou trois mètres au dessus du sol. Ce qui oblige à lever la tête et à s’apercevoir qu’un tableau se pose aussi autrement qu’aligné sagement à côté du voisin. Axell n’avait pas la courte vue et cette disposition, architecturée, de son grand œuvre de sape éclate davantage ainsi dérégulé.
Autre bonheur : Axell n’a pas à rougir des pièces historiques qui l’environnent, pas plus que celles-ci n’ont à s’offusquer de la promiscuité avec Axell. Les unes et les autres se complètent, témoignages d’une époque qui savait y faire contre les diktats et les us et coutumes sacro-saints. Ainsi s’accommode-t-elle aisément de deux pièces de Beuys, dont un “Piano révolutionnaire” de 1969, banal mais envahi de roses séchées, belle image ! Comme elle apparaît à l’aise quand l’avoisinent, s’éclatant, les “mecs” du Pop, d’Andy Warhol à John Chamberlain, Wesselman, Segal, Lichtenstein ou Rauschenberg. Ou, autres reflets de l’air du temps, Yves Klein, Yayoi Kusama ou Niki de Saint-Phalle, ces dernières autres égéries d’une époque en phase avec des exigences nouvelles qui feront date. Féministe d’avant-garde, osant se dévêtir pour faire valoir les droits des femmes et même se montrer, dans des tableaux provocateurs, en complice d’une libido exacerbée par les assauts machistes, Evelyne Axell frappe cœurs et esprits car elle a joué l’injouable, affirmé l’incongru et défendu ce qu’une société aseptisée jugeait indéfendable.
Venue trop tôt, elle plut aux avertis des vraies choses de la vie, fut reconnue par des fous d’art allumés comme elle. Prix de la Jeune Peinture belge en 1969, elle exposa pourtant au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, fit les beaux jours des galeries Contour et Templon.
Quarante ans plus tard, la revoici plus épanouie et plus nue que jamais. Authentique, princesse sans petits pois d’une Histoire de l’art qui, d’évidence, l’attendait. Rayonnante à souhait.
Commissaire et directrice du Museum Abteiberg aux volumes généreux, fruits d’une audace architecturale de 1982, Susanne Titz se félicite d’une restauration générale qui aura rendu au musée son aura. Soucieuse d’avant-garde, Titz garde le cap d’une institution qui, début 80, s’enorgueillit d’un formidable ensemble Beuys (désormais à Berlin) et accueillit Broodthaers. “J’ai bien sûr bénéficié pour “Axelleration” des conseils de Jean Antoine, son mari. Divers aspects m’intéressaient et je voulais la montrer. En se peignant comme un objet, Axell s’instituait sujet d’une œuvre qui, de son temps, était émancipation et discours artistique sur la société contemporaine. Nous possédons des chefs-d’œuvre initiaux des premiers “mecs” du Pop. Montrer Evelyn Axell allait de soi. Et puis, j’ai toujours été fascinée par l’art belge ! La petite expo Axell du Wiels est au cœur de notre ensemble avec des ajouts, et c’est un bonheur !“
Photos: E. Meyns / Ph. AntoineLa Libre Essentielle
1 août 2011